Mon Cinéma - Nostalgie Ironique

 

 

Je fais partie d’une génération sans passé.
Héritage de l’absence de cause ou d’évènements marquants dont nous pourrions être les acteurs, nous ne possédons aucune accroche dans le passé auquel nous référer. En d’autres termes, nous sommes légitimement dépourvus de nostalgie. Cela peut sembler normal vu la jeunesse de ma génération, mais parallèlement à cela, nous vivons dans un monde où les jeunes veulent devenir adulte de plus en plus tôt, ils ont donc besoin de se construire cette nostalgie nécessaire à un âge avancé.
Seulement, la contrainte de l’âge fait en sorte que cette nostalgie ne peut se lier qu’à des évènements de notre enfance et le problème survient lorsque l’on se penche sur ce qu’a été notre enfance.
La plupart de l’entourage audio-visuel était en effet d’une piètre qualité, il est difficile d’en vanter les mérites et de le regretter. À cette nostalgie s’ajoute donc quelque chose : une certaine distance que l’on peut qualifier d’ironique. Nous sommes conscients que les dessins animés, les musiques de notre enfance sont de faible qualité, nous en rions, nous critiquons mais nous regardons quand même en maintenant, avec une mauvaise foi feinte mais que tout le monde partage et donc tout le monde a conscience, que c’est vraiment génial.
C’est la nostalgie ironique.

La télévision joue là-dessus, bien entendu, en rediffusant les vieux dessins animés de notre enfance en boucle, en jouant sur cette nostalgie ironique, en la décuplant (avec des émissions entièrement tournées vers elle, passant des dessins animés des années 80, mais à des heures tellement tardives que le public ciblé n’est clairement pas les enfants).
Il est pratiquement impossible, en naviguant sur les différentes chaînes de télévision, de ne pas tomber sur un épisode de Dragon Ball Z, M6 rediffusait encore récemment Olive et Tom, Albator a connu une sacralisation qui dépasse largement la qualité de la série et que dire des Chevaliers du Zodiaque ?
Tous ces noms suffisent à lancer de grandes conversations chez les gens de ma génération, à allumer des regards mélancoliques mais également un sourire en coin.
Bien entendu, comme la génération Albator de l’époque est également la génération Internet de nos jours, le phénomène se développe et prend une ampleur énorme sur la toile (où les sites consacrés aux dessins animés de feu le Club Dorothée y pullulent).
L’exemple parfait de cette nostalgie ironique tourne autour des doublages de Ken le Survivant.

Notons également une forte nostalgie ironique autour du Club Dorothée, illustrée par ce fond d'écran trouvé il y a quelques temps sur un site.

Le phénomène ne s’arrête néanmoins pas à la rediffusion des vieilles séries. Plus encore que de revoir les épisodes, un véritable culte est né autour des génériques de ces dessins animés. Une fois de plus, Internet se fait le relais de ce mouvement : les sites y recensent un nombre incalculable de génériques, créant des phénomènes de rareté de certains (lorsqu’on ne le trouve pas partout), ou d’exhaustivité (un site peut faire la collection de tous les génériques de Goldorak...).
Une fois de plus, la qualité n’est pas au rendez-vous, la plupart sont des chansons aux paroles maladroites (« Jayce, conquérant de la lumière, tu dois conquérir »), parfois incompréhensibles (issues de mauvaise traduction du Japonais). Mais les premières notes de Cosmocats suffisent à faire naître le sourire aux lèvres des gens de ma génération.
En général, on n’écoute pas des génériques de dessin animé tout seul, on le fait en groupe, on essaie de deviner de quel dessin animé il s’agit...
Dans le même ordre d’idée, pendant une période on a assisté à la diffusion des grands succès de Chantal Goya dans les boîtes de nuit, on assiste également ici à un phénomène de nostalgie ironique.
Et que dire d'évènements comme la Gloubiboulga Night ?

Cette nostalgie ironique est bien entendu plus vaste que le simple domaine des dessins animés, on peut détecter sa présence dans des films récents comme Kill Bill.
Plusieurs détails de ce film sont en effet dans la même ligne de pensée : la reprise de vieilles chansons (et particulièrement celle du générique de la série du Frelon Vert) dans la bande originale, la tenue d’Uma Thurman calquée sur celle de Bruce Lee, la présence d’un vieux maître chinois caricatural, ou les noms de prise abracadabrants...

Il semblerait que cette nostalgie ironique prenne peu à peu la place du phénomène « kitsh », un peu dans le même esprit, qui l’a précédée.
Mais là où le kitsh observait un évènement extérieur en l’appréciant pour son ridicule, la nostalgie ironique est tournée vers son propre ridicule, vers ce qu’on a apprécié et qu’on tente d’apprécier encore.

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"And so began, the legend of Pai Mei's Five-Point Palm - Exploding Heart Technique."
Bill, Kill Bill